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chroniques de la verte vallée
3 octobre 2009

Le poisson brûlé

Samedi soir, 20h30


Si Julie était le personnage central d’une sitcom américaine, la caméra aurait d’abord fait un plan large sur la cuisine. Moderne et pratique, métallique et froide, spacieuse et vide, tout l’électroménager dernière génération y aurait eu sa place. Puis progressivement, il y aurait eu un zoom sur ses mains qui émincent les poires. À l’écran, on aurait vu les noisettes réduites en purée, le lieu dans son plat, les graines de cumin dans la coupelle. Oui, si Julie avait été un personnage de film, les choses se seraient ainsi passées.

Mais, Julie n’est qu’une jeune femme comme vous, moi ou les autres. Sa cuisine ressemble à un cube où les choses n’ont pas une place mais plusieurs. Ce qui est vrai, c’est qu’elle coupe des poires en lamelles. Elle a dans l’idée de faire une tarte aux poires et au roquefort. Enfin, elle a surtout dans l’idée que Marc rentre ce soir. Dans une demi-heure, il aura posé sa lourde valise de représentant en bois de chêne contre le mur et il la serrera dans ses bras. Le problème avec Julie, c’est que quand elle a des idées dans la tête, elle ne fait plus attention au reste. Ici, le reste, c’est le couteau et elle s’entaille le doigt. Le sang coule sur les poires, macule la planche à découper. Elle regarde son doigt ébréché et rouge de son propre sang. Elle prend tout à coup conscience qu’il est 21h et Marc n’est pas là.

Si Julie était le personnage d’une sitcom, le spectateur aurait pu découvrir ce que faisait Marc. Mais, Julie n’est pas un personnage de série, et vous n’en saurez pas plus qu’elle n’en sait : il est 21h et Marc n’est pas là. Julie a le doigt coupé. Marc n’arrive pas. Où est-il ?



21h15. Julie a enveloppé son doigt dans un tissu, déjà imbibé de sang. Au bout de l’index, le pansement ressemble à une grosse boule comme la tête d’une poupée.

Le poisson cuit dans le four.


21H30. Marc n’est toujours pas. Où est-il ? Le poisson brûle dans le four. Où est Marc ?


21H40. Elle cogite, Julie.

Une maîtresse ? Ridicule !

Les embouteillages ? Impossible ! Il ne prend pas les autoroutes !

Un accident ? Un enlèvement ? Les extra-terrestres ?

Le poisson finit de brûler dans le four.


22H00. Le poisson est desséché, le four est noir de fumée. Une heure de retard ! Bon sang, qu’est-ce qu’il fout !


22H30. Le téléphone sonne. Marc !

Elle crie : « Où es-tu ? Ça fait une heure et demie que je t’attends. Tu m’avais dit 21h. »

Dans sa colère, elle entend à peine la réponse.

« Mais, ma chérie, c’est demain que je j’arrive. »


Si Julie était le personnage d’une sitcom, peut-être qu’elle lancerait le combiné contre la fenêtre. Mais Julie est une femme raisonnable qui sait le prix des fenêtres en double vitrage. Alors, les fenêtres, elle ne les casse pas. Au contraire, elle les ouvre.

Ça pue le poisson brûlé, ici !

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