Le client se manifeste toujours et en premier lieu par les articles qu’il dépose sur le tapis... et c’est là que les difficultés commencent.

Il y a ceux qui sont nostalgiques des legos de leur enfance. Ils empilent tout bien sagement. Les cubes avec les cubes (en général, ce sont des yaourts), les trucs plats avec les trucs plats (genre le jambon et autres terrines de campagne), les bouteilles déboulent en premier avec les packs et les trucs lourds (genre les 15 kgs de croquettes pour Médor. Je suis l’amie des animaux). Là, on frôle l’organisation militaire. Les yaourts avec les danettes, la viande avec le poisson, le melon avec les tomates, les pâtes avec le riz, les tablettes de choco avec les biscottes, les shampooings avec le liquide vaisselle (merci d’éviter la marque du magasin, la bouteille fuit). Bref, ils ont tellement bien rangé leur tapis, que vous n’avancez pas ! Vous mettez un temps fou pour faire avancer de 20 cm le tapis avant et comme le tapis avant n’avance pas, le tapis arrière ne bouge pas. Bon, d’accord, j’ai les moyens de le faire avancer en appuyant sur le bouton, mais j’aime bien quand c’est automatique et puis, comme ça, le client tend les bras pour récupérer son dû, et c’est très bon de s’étirer, on évite de se tasser les vertèbres ! Les legotistes sont des gens à l’organisation synchronisée. Ils ont le panier pour mettre les produits secs, la glacière MIKO pour les surgelés, le sac isotherme pour le frais... Wahou, les gars ! Vous m’impressionnez ! Ce sont des gens concentrés sur leurs courses, ils n’oublient pas de faire peser poireaux, courgettes, pommes et bananes. Ils pensent aussi à Noël et gardent leurs précieux sous accumulés sur la carte Leclerc. J’ai vu des cartes avec plus de 300 euros épargnés. Bravo, mes hommages.

Dans une autre catégorie, nous avons les monticulards. Ils sont fans des pyramides et veulent les reproduire. Ils empilent ou plutôt entassent de façon aléatoire. Là, c’est le bordel, le Boursin arrive la tête en bas, les Pépito se chamaillent avec le cervelas (vous en mangez, vous, du cervelas ?), le shampoing discute avec les crevettes (élevées au Brésil, mais la semaine dernière, elles étaient du Vénézuela), et les surgelés tapent la causette au café lyophilisé. Si ce sont vraiment des bordéliques, vous chopez l’emmental, et vous avez l’essuie-tout, le papier WC et les boîtes de thon qui arrivent en recommandé devant vous. Le monticulard est le pro du « zut, j’ai oublié les sacs dans la voiture (ou à la maison) », il est pas non plus hyper rapide ; il tente, mais arrête vite la tentative, de ranger son bordel, puis renonce devant l’énormité de la tâche à accomplir. Il finit par tout bourrer pêle-mêle dans le chariot. Advienne que pourra.

Nous avons aussi les étalés. Ils ont trois fois rien mais prennent les trois quarts du tapis. Il y aussi ceux qui ne posent pas sur le tapis et qui vous donne de leur main tout propre à votre main qui a rencontré de la morue séchée, des crevettes, du charbon de bois, leurs sous-vêtements. Eh oui, le tapis, c’est sale. Parce que vous ne les lavez pas avant de les mettre ? Il y a aussi mes ennemis jurés... les récalcitrants de la barre. Est-ce compliqué de mettre une barre après votre dernier article ? Je pense que le plus parfait des abrutis peut y arriver...il faut croire que pour certains, c’est un effort surhumain. Le pire, c’est à la caisse »moins de 10 articles », là, c’est à vous de demander « c’est encore à vous ça ? » ou bien « ça va jusqu’où vos articles ? ». En règle général, le client suivant vous rassure en vous disant qu’il vous aurait arrêté avant (ah ouais, avant que j’ai passé 3 articles ? Je t’explique, mon gars, je ne peux annuler que le dernier article ! Pour les autres, j’appelle la caisse centrale !), ou bien le client en cours vous dit qu’il n’aurait jamais payé ce qui n’était pas à lui (c’est logique, je n’en doute pas que vous n’allez pas payer les courses de la dame derrière vous). Malgré tout, il faut rester vigilant. Jeudi, la caisse moins de 10 articles est pour ma pomme. Arrivent deux frères. Par commodité, nous appellerons le frère n°1, Raymond (le con) et le frère n°2, Lucien (je ne dis rien). Le premier met ses articles, puis la barre et le deuxième pose sa bouteille de vin et enlève la barre. Ayant perçu vaguement la chose du coin de mon oeil gauche, je demande : « c’est encore à vous la bouteille ? ». Là, Lucien me répond que oui, donc, je passe la bouteille, j’appuye sur TOTAL, et je demande mes sous. Lucien se précipite pour payer. Il me sort un billet de 50 euros et étant un peu à court de monnaie, je demande :

« - Vous n’auriez pas 37 centimes ? »

Là, Raymond commence à s’agiter pendant que Lucien cherche les malheureux centimes. Raymond dégaine la Mastercard... j’interviens avec le sourire (oui, ça peut m’arriver)

MOI : « Faudrait peut-être vous mettre d’accord ? »

RAYMOND (le con) : « C’est à vous, mademoiselle, de vous mettre d’accord. Il fallait vous arrêter à la barre »

Comprenant qu’il fait référence à la bouteille, je lui réponds :

MOI : « Il n’y avait pas de barre, j’ai demandé si la bouteille faisait partie du compte, on m’a dit oui »

LUCIEN (je dis rien) : « ... »

RAYMOND (le con), méchamment « Il y avait une barre, je le sais, c’est moi qui l’ai mise »

LUCIEN (je dis rien) : « ... » mais je souris comme un con à la caissière pour lui dire de la mettre en veilleuse alors que c’est mon frère qui crie comme un putois.

MOI (perdant patience, et j’ai des raisons) : « Il n’y avait pas de barre, monsieur, j’ai demandé pour la bouteille et on m’a dit oui »

LUCIEN (je dis rien) : « ... » et je continue de prendre une tête de gentil, sans chercher à m’opposer à mon con de frère.

RAYMOND (le con) : « Ben, bien sûr, dites que je dis n’importe quoi », et il part en grommelant et laisse son frère régler les commissions de Raymond (le con) et la bouteille de vin (qu’ils boiront peut-être ensemble).

Même les clients suivants ont vraiment trouvé que Raymond (le con) était bien con et que Lucien (je dis rien) aurait pu ouvrir sa gueule. Et dire que les caissières sont stressées, la faute à qui ?!

Le tapis de caisse

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